Au niveau de leurs racines, la très grande majorité des plantes terrestres entretiennent avec des champignons microscopiques du sol des relations étroites et variées. Parmi elles, les relations symbiotiques dites mycorhiziennes concernent près de 80 % des plantes dont une majorité de plantes de cultures. Ces symbioses assurent aux plantes un meilleur accès aux éléments minéraux du sol tel que le phosphore. Au gré de l’évolution, les plantes de la famille des Brassicacées dont Arabidopsis thaliana ou Arabette des dames, ont perdu leur capacité à établir des relations mycorhiziennes et le bénéfice qui en découlait pour leur nutrition. Contre toute attente, des chercheurs de l’Inra Versailles-Grignon et leurs collègues allemands, espagnols et japonais ont mis en évidence la présence asymptomatique d’un champignon microscopique, Colletotrichum tofieldiae, dans certaines populations naturelles d’A. thaliana. Une découverte qu’ils se sont empressés d’explorer pour en comprendre l’originalité et l’intérêt.

Une association qui commence au niveau des racines

Les scientifiques ont ainsi montré que C. tofieldiae colonise initialement les racines en se propageant à la fois dans et entre les cellules végétales. Le champignon diffuse ensuite vers les jeunes pousses des plantes en croissance, témoignant ainsi d’un caractère endophyte certain. C. tofieldiae ne cause aucun symptôme visible chez A. thaliana bien qu’il appartienne à l’un des plus importants groupe de champignons phytopathogènes au niveau mondial.

Une coopération bénéfique en matière de nutrition

Explorant l’impact de cette colonisation sur la plante-hôte, les scientifiques ont observé que la présence de C. tofieldiae augmente la croissance et la fertilité d’A. thaliana dans des milieux carencés en phosphore. Cette amélioration repose sur une conversion, par le champignon, du phosphore insoluble en phosphore soluble.  Cet élément  est alors transporté des cellules fongiques vers les cellules de la plante hôte où il peut être utilisé. Le transport du phosphore dans les cellules végétales est activé par le champignon à la faveur d’une augmentation de l’expression de plusieurs transporteurs végétaux dédiés.
Comment la plante contrôle-t-elle cette interaction ? Elle fait intervenir un système de régulation du métabolisme du phosphore en conditions de carence dit PSR (en anglais Phosphate Starvation Response) au moyen duquel elle peut apprécier la disponibilité en phosphore du sol. Les scientifiques ont montré que ce système PSR est essentiel pour la promotion de la croissance végétale par le champignon et pour le contrôle de la colonisation de la plante par le champignon. La plante mobilise également une branche du système immunitaire impliqué dans la synthèse de certains composés antimicrobiens, les glucosinolates. En l’absence de ces molécules, C. tofeldiae se transforme en redoutable agent pathogène pour A. thaliana.
Ces travaux mettent une nouvelle fois en lumière le rôle du système immunitaire des plantes dans l’établissement d’une interaction bénéfique avec un champignon qui assure un apport en nutriment dans des conditions de carence. Ils révèlent que, pour la plante, le bénéfice de l’association est déterminé par des conditions environnementales et en particulier par la quantité de phosphore dont celle-ci dispose. Offrant un nouvel exemple des interactions entre plantes et champignons du sol, ces travaux suggèrent que, dans des sols pauvres en phosphore, la colonisation des racines de plante par C. tofieldiae compense l’absence de relations mycorhyziennes classiques chez les plantes de la famille des Brassicacées.

RÉFÉRENCE

Hiruma K, Gerlach N, Sacristán N, Nakano RT, Hacquard S, Kracher B, Neumann U, Ramírez D, Bucher M, O’Connell RJ, Schulze-Lefert P (2016) Root endophyte Colletotrichum tofieldiae confers plant fitness benefits that are phosphate status-dependent. Cell 165: 1. http://dx.doi.org/10.1016/j.cell.2016.02.028